Chaque nuit cette semaine à Cannes, dans le sud-est de la France, une foule de passionnés s’emploient à tester dans un brouhaha appliqué des centaines de prototypes, plus ou moins aboutis, de jeux de société dont seuls une poignée seront peut-être un jour édités.
Jusqu’à dimanche, professionnels et grand public ont rendez-vous dans la journée au Palais des festivals pour retrouver les grands classiques et découvrir les nouveautés des éditeurs.
Mais le soir venu, les plus acharnés se retrouvent jusqu’à l’aube sous un chapiteau à côté du Palais : des centaines de tables alignées, un char de bière qui circule dans les allées, et des auteurs, reconnus ou non, qui présentent leurs créations.
Certains sont venus avec des cartes en papier, des décors en carton et des pions empruntés à d’autres jeux. D’autres présentent des plateaux de qualité, parfois même un déguisement en lien avec leur thème.
A chacun une table, quatre chaises et quelques minutes pour expliquer les règles. Selon le type de jeux, l’ambiance peut être très concentrée, ou endiablée, voire perplexe parce que même pour des habitués, la dynamique n’est pas toujours évidente.
« C’est très cool, les gens sont hyper sympas », s’enthousiasme Matthieu Chaudon, 32 ans, venu présenter « Duca », un jeu de stratégie où il faut positionner des intrigues sur un damier. Le créateur est ravi de pouvoir avoir l’avis « de personnes qui s’y connaissent ».
« Hier, j’ai changé quatre fois de règle, j’ai testé plein de variantes pour voir ce qui marchait, ce qui ne marchait pas », raconte cet ingénieur hydraulique sans emploi qui a déjà inventé une soixantaine de jeux. Un seul a retenu jusqu’ici l’attention d’un éditeur et doit sortir fin 2025.
Loïc Lamy, 46 ans, a lui déjà réussi à faire éditer neuf jeux. Pas de quoi en vivre, puisqu’avec un total d’environ 150.000 boîtes vendues, tous jeux confondus, il estime avoir gagné « entre 70 et 80.000 euros » en dix ans.

– « Accrocher un éditeur » –
Ancien instituteur désormais père au foyer, il a plusieurs rendez-vous prévus dans la journée sur le festival « on » pour présenter d’autres jeux à des éditeurs, mais sur le « off », il est venu faire tester « To bot or not to bot », où chaque joueur doit déterminer s’il est robot ou humain.
Je ne le considère pas comme présentable pour l’instant, j’ai besoin de plus de retours. Chez moi, je joue toujours avec les mêmes personnes, c’est dur de trouver des testeurs différents, explique-t-il.
Né en 1986, le Festival international des jeux de Cannes a lancé son « off » il y a une dizaine d’années, quand les organisateurs ont repéré que des auteurs devaient faire tester leurs prototypes sur des tables vides en fin de journée ou dans les halls d’hôtel.
Plus de 400 auteurs se sont inscrits cette année : « L’objectif, c’est de venir faire tester son jeu, mais il ya aussi des prototypes qui sont complètement aboutis, et là l’objectif c’est d’essayer d’accrocher un éditeur », raconte Cynthia Rebérac, commissaire générale du festival.
L’essentiel des échanges avec les éditeurs se fait cependant sur le « on », dans le cadre de rendez-vous décrochés à l’avance, par exemple avec François Decamp, responsable du « sourcing » pour les cinq maisons d’éditions internes du groupe Asmodée, connu pour ses titres à succès tels que « Catan », « Ticket to Ride/Les aventuriers du rail » ou « Dobble ».
Sa petite équipe a prévu de rencontrer 80 auteurs pendant le festival, qui vont leur présenter plus d’une centaine de prototypes. « On repartira avec 10 ou 15 boîtes » à présenter aux maisons d’édition, qui sortent chacune deux ou trois nouveaux jeux par an.
Quand il arpente les allées du « off« , les regards se figent. Certains auteurs tentent de l’attirer à leur table, d’autres redoutent son oeil aiguisé.
Même si c’est « rarement au hasard » qu’il s’arrête à une table, les nuits du « off » représentent pour lui « la cerise sur le gâteau. On va essayer d’aller chercher le petit truc que personne n’a vu et qui va peut-être faire une nouveauté un peu plus originale que les autres ».
